Nuit

Les nuages lourds retiennent la nuit plus longtemps que d’habitude. L’immeuble de bureaux, déserts et inutiles à cette heure, se dessine à peine plus sombre que l’air ambiant. L’unique petit carré de lumière du rez-de-chaussée attire l’œil du conducteur trop matinal qui ne peut s’empêcher de voir Geraxina et Mantxo, côte à côte derrière la même table, avec des sourires radieux incompréhensibles dans cette noirceur mais qui éblouissent, remplissent et emmènent très loin.

Assaut de civilité (3)

Ramuntxo travaille dans une des agences immobilières qui vendent aux parisiens télévisuels les appartements de la côte que les basques ne peuvent plus se payer. Cela l’occupe beaucoup et lui rapporte des commissions intéressantes. Ramuntxo habite un trois pièces et est particulièrement content de l’association d’aide à la personne qui lui envoie une femme de ménage. Dans son jogging informe, cette dernière assure repassage, aspirateur, sanitaires en son absence et en toute discrétion. Ramuntxo la regarde à peine lorsqu’il signe une fois par mois la feuille de présence. Il ne saurait même pas décrire la couleur des yeux d’Estebenia.

Estebenia passe une fois par semaine dans l’appartement de Ramuntxo. Elle a négocié quatre heures mais y arrive très bien en deux heures et demie ce qui lui laisse suffisamment de temps pour, dans la chambre de Ramuntxo, enlever son jogging informe, s’allonger nue dans l’odeur d’homme, prendre le temps de se donner du plaisir en utilisant parfaitement son index, partir, rêvasser en se caressant les aréoles, utiliser nettement plus de doigts pour repartir dans un orgasme parfait, s’essuyer le buisson avec un des caleçons BD ridicules de Ramuntxo, faire le lit impeccablement, prendre une douche, faire briller la salle de bains, renfiler son jogging informe et quitter l’appartement.

Mimosa

Jaïma revient du chemin les bras chargés de branches de mimosa fleuri qu’elle dépose dans la chambre. Guxen comprend l’invite discrète à son imagination et à son ardeur pour que miels et muscs parviennent à couvrir l’odeur entêtante des boules d’or.

Rhune rouge

Dans l’air matinal qui enveloppe la Rhune de rouge, Petiri ronronne, emmitouflé par les mots cueillis sur les lèvres d’Usoa au fond du lit « quand tu me fais éclore au matin, j’ai l’impression de finir ma nuit sur un joli rêve ».

Odeur

Machine à café, 10 heures, conversations
- Vagina, non ?
- Plutôt vulva, de l’odeur féminine en flacon ?
- Oui, un truc comme ça.
- Oh, je dirais plutôt vulga, j’ai vu leur site de vente en ligne, c’est d’une vulgarité prétentieuse.

Eustakio laisse dire, rire. Il se débarrasse de son gobelet, disparait dans les toilettes, se lave les mains et se décalotte lentement. Le subtil mélange des fragrances qu’il a fort précautionneusement conservé sous son prépuce lors de la douche matinale après sa nuit d’amour partagée avec Garoa réveille ses sens mieux que ne pourra jamais le faire un parfum de synthèse.

Lamina de pluie

La mythologie basque date d'avant l'Histoire mais cela n'interdit pas d'en raconter

La pluie incessante qui baigne les montagnes et les vallées d’ipparalde en hiver enchante lamina. Elle passe des heures, nue sous la pluie, à coiffer avec son peigne en or ses longs cheveux blonds en écoutant les sources déborder. Et lorsque la puissance de l’eau se conjugue à la montée de la lune vers son plein, lamina est envahie d’un besoin irrépressible de conjonction. Mais la pluie éloigne des sources préférées de lamina bergers, chasseurs et autres pêcheurs. Aussi remonte-t-elle inlassablement les cours d’eau à la grande vitesse de ses pieds palmés. Elle finit par rencontrer un vieux charbonnier ramassant du bois mort malgré les trombes d’eau. Il est tout entier dans sa tâche et peu ému par la blonde nudité de la lamina.
Elle s’en offusque : « Et bien euskaldun ! Tu n’as pas la politesse de te tendre pour moi ? »
« J’ai deux bonnes raisons, lamina, deux bonnes, vraiment »
« Nomme la première raison euskaldun ! »
« Le bois ! Sans lui, sous cette pluie, j’ai froid et je meurs »
Lamina claque des doigts et tout ce que la forêt compte de bois mort se retrouve empilé à l’arrière de la cabane du vieux charbonnier en un tas énorme.
« Allons chez toi et tu me nommeras la deuxième raison euskaldun ».
Le vieux charbonnier entre dans sa cabane, suivi de lamina. Il jette de grandes brassées de bois dans l’âtre, place ses vêtements dégoulinants devant les flammes. Il reste un long moment devant le feu avant de retourner son corps sec vers la lamina en déclarant : « La seconde raison, lamina, est que je ne me tends plus, ni pour toi, ni pour personne ».
Lamina retire le peigne en or de ses cheveux, s’approche du charbonnier et commence à peigner le taillis blanc entre les jambes de ce dernier, lentement, patiemment. Le buisson quitte le blanc, se grisaille, puis s’assombrit franchement, s’assouplit et laisse se dresser en son milieu un baliveau bien proportionné que lamina se plait à utiliser à sa guise.

Au matin, le vieux charbonnier se réveille près de son feu bien entretenu, un peu rompu et un peu déçu de constater que son buisson a retrouvé la couleur neige de ses cheveux.

Frisson d'hiver

Abrité sous l’avant-toit, Txabier maugrée dans la nuit : « Cette pluie, je comprends pourquoi les laminak ont des pieds palmés ».
« Et oui, c’est l’hiver en iparralde(*) » répond Otxanda en le rejoignant « Mais reconnais quand même que 14° au mois de janvier, il y a pire ».
« Moi, cette pluie, ce vent, ça me fait frissonner ».
« Allez rentre ».

Et dans la chambre Otxanda brosse lentement ses cheveux puis leur fait frôler la poitrine de Txabier, juste les pointes, comme la caresse des cils sur la joue. Et Txabier frisonne.

Et les cheveux deviennent les fils qui donnent vie, dirigent et font se tendre ce qui ne frissonne pas.

(*) iparralde : pays basque nord

Rossignol

Mais pourquoi l'éducation nationale choisit-elle le corbeau et le renard au lieu du rossignol dans les fables de Lafontaine ?
...

A cause de la grande chaleur nos deux amants
Dormaient sans draps ni couvertures,
En état de pure nature.
Exactement comme on peint nos deux premiers parents,
Excepté qu'au lieu de la pomme,
Catherine avait dans sa main
Ce qui servit au premier homme
A conserver le genre humain.

...

Spécialité

Lezana mélange d’un geste assuré la crème épaisse et la poudre de chocolat dans une tasse peu profonde. « Tu n’as pas laissé beaucoup de place pour mettre l’eau, il va être épais ton chocolat » s’inquiète Migeltxo.
« Ca va être parfait » répond Lezana en ajoutant une pincée de cannelle et en poursuivant son lissage jusqu'à ce que, satisfaite, elle allonge Migeltxo d’autorité et lui nappe précautionneusement la pointe du gland d’une cuillère de sa préparation. « Je ne comprends vraiment pas celles qui mangent du nutella à la petite cuillère » soupire-t-elle.

Pose

Ttotte regarde l’heure, pose sa revue et se dirige vers la penderie pour sortir son blouson. « On y va ? » questionne-t-il
Sans quitter le canapé, Geraxina place son livre devant sa bouche et répond d’une petite voix « Et si on ne sortait pas ? »
« Ah, tu ne peux pas lâcher ton livre ? » interroge Ttotte compatissant
« Non, ce n’est pas ça » dit-elle en découvrant ses lèvres « mais j’aimerais bien te dessiner »
Ttotte grimace un peu « Rappelle moi combien de fois je me suis déshabillé pour te servir de modèle ? »
« Une quarantaine de fois … » convient Geraxina
Ttotte poursuit « Rappelle moi combien de dessins tu as terminés avant de te rendre compte que j’étais nu et de lâcher ton crayon ? »
« Aucun, d’accord, je n’insiste pas, on sort » conclut-elle en se levant « Mais qu’est ce que tu fais ? »
« Et bien, je me déshabille. Où souhaites-tu que je pose ? »

Perversion

Pourquoi ne copule-t-on pas dans des positions incroyables comme d’habitude ? Ce n’est pas un peu malsain de rester collés l’un à l’autre comme ça, sans même avoir une main baladeuse ou une lèvre humide ? Qu’est ce qui nous arrive ? Nous glissons vers la pornographie là !

Oui, c’est une perversion qui a été assez bien décrite dans la littérature sous le nom de tendresse.

Basurde

Insufflée par la sorcière et soufflée par le plébéien

Il a plu. Tout est boueux, détrempé. Basurde(*) dans sa bauge se tourne et se roule en grognant de bonheur.
Il a plu. Tout est boueux, détrempé. Katixa, euskadun brune aux yeux verts qui revient par le chemin de la forêt à mi-pente, glisse, roule et s’étale à 4 foulées de basurde.
La fraction de seconde entre la chute et la charge furieuse, rageuse, sauvage de basurde est mise à profit par Katixa pour lancer « hemen laztanak dohainik ». Basurde suspend son intention de mouvement. La musique de la voix réveille de vieux souvenirs. Ses quatre pattes dans la boue, il attend. Il ne comprend pas ces sons ou il ne les comprend plus mais il ressent que quelque chose doit se passer. Katixa hésite, respire et s’avance lentement ; elle entre dans la boue de la bauge ; ses pieds collent ; elle s’approche de basurde qui tourne lentement ses défenses vers elle ; Katixa écarte ses bras et les referme doucement autour du corps boueux et puissant de basurde ; elle s’enfonce dans la toison épaisse et sale ; Katixa sent battre le cœur de basurde ; basurde sent battre le cœur de Katixa. Puis elle se détache, lentement. Basurde la regarde partir.

Basurde couvre sa laie le soir même. Les marcassins de la portée ont tous les yeux verts.

(*) sanglier

Consommé

« Ces lendemains de fêtes, je n’ai vraiment rien envie d’avaler » déclare Sabadina du fond du lit en constatant qu’il est déjà 19h quand même, « ou alors juste un truc liquide, chaud et vite prêt ».
« J’ai ce qu’il faut » annonce Fermintxo en se dressant nu à ses cotés.
« Je n’en doute pas » ronronne Sabadina en avançant la main ; mais elle ne rencontre que le vide, Fermintxo déjà dans le couloir en direction de la cuisine, criant par-dessus son épaule : « Je vais te faire la soupe de légumes de mon amatxi ».

Résolution d'escargot

La bonne résolution de Xabi pour 2008 est de faire du VTT 2 fois par semaine même s'il pleut, même si la boue gicle, même s'il fait froid et même si, une fois le tour terminé et les affaires crottées posées vers la machine à laver dans le garage, il apparait piteux, sale, gelé et nu devant Domenga dans la salle de bain.
"On n'a pas idée de se mettre dans des états pareils" proteste Domenga avant que son instinct ne la pousse à réchauffer en priorité l'escargot rabougri qui peine à sortir de sa coquille.

Cartes de voeux

« C’est la plaie ces cartes de vœux à des gens que je ne reconnaitrais même pas dans la rue » marmonne Txantxo.
« Et oui, les euskaldunak ont de grandes familles » répond Estitxu en peignoir du fond du canapé.
« Je ne sais jamais quoi écrire. Pas d’inspiration. Pas d’idée. Rien qui ne sorte du stylo ».
« Passe le moi » propose Estitxu.
Le stylo glisse, s’insère, s’immisce, se gangue, se charge puis Estitxu le rend.
Txantxo le sent, le suçote et se met à écrire.

« Des vœux charmants cette année » le félicite la kusina Nerea