C’est au milieu de nulle part, au cœur d’une zone très
artisanale et un peu commerciale. Tu prends ton plateau, tes couverts. Tu
regardes l’ardoise. Tu choisis parmi les 2 entrées du jour. Tu te décides entre
le poisson ou la viande. Et l’un des 3 desserts si tu as envie. Tu passes
commande. La cuisinière a fait l’effort de mettre du rouge sur ses lèvres avant
de commencer le service après la mise en place. Sous ses teeshirts et tabliers,
tu devines des formes rassurantes. Tu n’as vraiment besoin d’être rassuré, tu
sais que cela va être différent d’hier, que le poisson a été péché cette nuit
dans l’océan tout près, que la viande est blonde d’Aquitaine et que le poulet
courrait encore avant-hier dans l’herbe.
Tu t’assois sur ta petite table. Tu salues d’un signe de tête le
plombier qui a son atelier à côté, le chauffeur qui a garé son camion un peu
plus loin, les 2 maçons avec leurs chaussures de sécurité et le charpentier
avec son mètre à la ceinture. C’est calme. Pas de musique de fond. Chacun mange
avec plaisir. C’est ta pause du midi.
Et un jour d’été, deux touristes bronzées se perdent dans la
zone et arrivent sur la table à côté de toi. C’est si frais, si simplement bon. Enfin, c’est ce qu’elles disent.
Elles disent plein de choses et, bien
sûr, prennent leurs assiettes en photo. C’est vrai que c’est bien dressé, sans
prétention mais joli. Une touche féminine quoi. Et elles mettent à jour leur
compte TripAdvisor avec un commentaire du genre : Tellement bien que ça devrait être au centre-ville balnéaire, vraiment
dommage que cela ne soit ouvert que le midi.
Ce n’est pas immédiat mais assez rapide quand même. Elles
sont deux, puis quatre. C’est tout de suite plus bruyant. Et puis elles
réservent à l’avance pour bloquer leurs branches. Avant, tu arrivais, tu
prenais place. Maintenant tu t’interroges avant de pousser la porte. Très vite,
cela devient des tablées à 6 ou 8. Le volume sonore augmente encore. La
cuisinière, qui fait aussi le service, court beaucoup ; ses joues sont
rouges.
Elles s’approprient le territoire. Leurs parfums se
mélangent, te gênent. Cela n’est plus le fumet du bar ou du merlu mais un
mélange mal équilibré de citronnelle, de géranium, de trucs trop forts. Elles
sont très vite agressives : s’il n’y a plus de place, elles tournent en
salle, te dévisagent, te scrutent et lancent d’une voix aigüe « C’est bon,
il en est au café ».
Elles sont voraces. Elles dévalisent d’une commande un arbre
entier. Comme il n’y a que des produits frais, tu entends vite :
« Désolé, je n’ai plus de bonite. Désolé, le dernier cheesecake rhubarbe
vient de partir ».
Réfugié au calme sur la terrasse, tu lances une recherche
Internet sur ton téléphone : « Comment faire face à une invasion de
perruches (à collier) ? ».