I Feel Pretty

Erlantz est un garçon classique : en matière de romantisme, au-delà de Shakespeare et de Roméo et Juliette, il n’y a rien. Alors West Side Story, c’est un bon compromis entre la modernité et le classicisme.
Erlantz est un garçon pratique : un cadeau qui plait, ça peut s’offrir plusieurs fois.
Maialen est amoureuse d’Erlantz. Il lui offre un disque, West Side Story. Maialen chantonne « I feel pretty » comme Erlantz joue délicatement de la langue sur son petit portier.
Nahia est amoureuse d’Erlantz. Il lui offre un disque, West Side Story. Nahia chantonne « I feel pretty » tandis qu’elle chevauche Erlantz rageusement.

Maialen et Nahia ne sont plus amoureuses d’Erlantz qui, lui, sourit toujours lorsque « I feel pretty » lance ses notes fleur bleue.

Oignon

Des petits pulls enfilés les uns sur les autres, c’est pratique pour l’hiver. Surtout pour l’hiver basque où le temps change vite : j’ai un peu chaud, j’ai vraiment froid ; Elaia enlève, remet, rajuste. Ça en fait des couches, comme un oignon. Mais il n’est pas prévu de l’éplucher l’oignon : Elaia a dit « pas trop vite ». Alors Periko se conforme à la demande, des promenades main dans la main, des bisous papillons. Et très consciencieusement, lorsque le câlin dérape un peu, que sa main s’égare dans le dos d’Elaia et rencontre un centimètre de peau, Periko remet en place les différentes couches de laine et de coton. « Pas trop vite ».

Juste après le coucher de soleil, la nuit les surprend devant l’océan. C’est très ancestral de se serrer un peu plus dans ces premiers instants d’obscurité. C’est très doux de sentir le cœur de l’autre qui bat. Enlacés. Les bras autour des reins sous les manteaux. La main de Periko remonte, découvre la peau douce et chaude au bas du dos. Il caresse un instant, amorce le geste de rajuster les couches mais le murmure d’Elaia interrompt son repli : « tu peux ».

Rafraichir (la nuque)

La peau de Fermin frissonne. Les quelques poils présents sur le dessus de ses épaules se dressent. Les doigts de Gaxuxa caressent les omoplates en un petit geste de balayage très léger puis assurent de nouveau leur prise sur la nuque de Fermin.
Fermin frémit aussi lorsque la paume de Gaxuxa, dans le même geste de balayage, s’aventure sur ses petits tétons d’homme.
« Tu as froid ? » interroge Gaxuxa.
La première réponse venant à Fermin tandis qu’assis dans la cuisine torse nu, il offre ses cheveux aux ciseaux et à la tondeuse à Gaxuxa est :
« Je n’ai pas chaud, ne fignole pas trop ».
Mais, bien cachée sous les cinquante ans de mariage dont dix de chambres à part -il ronfle fort dit-elle-, Fermin sent poindre une explication un peu différente au frisson que lui procure la main de Gaxuxa.

Il faut pleurer les amours inabouties

Le titre est de Berthoise

Le carnaval et le procès de San Pantzar, il ne faut pas les rater. Patxi arrive juste au dernier moment à l’appartement pour filer avec Terexa vers le défilé. La table basse du salon est un peu encombrée.
« Tiens, tu as sorti tes affaires de couture ? Ça faisait longtemps » constate Patxi.
« Bai, longtemps. »
« Et tu fais quoi ? Un doudou en tissu ? Il y a une naissance ? C’est pour qui ? »
« Ce n’est pas un doudou, c’est …, c’est pour moi. Allez viens, on y va, on va être en retard » dit Terexa en glissant le bonhomme en tissu dans la poche de son manteau.

Défilé, danses, procès et on brule San Pantzar.
« Je crois que j’ai un chagrin en retard, tiens moi la main » murmure Terexa en regardant bruler San Pantzar.
Patxi prend la main et ne dit rien. Il n’a pas besoin de tout comprendre. Il n’a pas besoin de savoir que Terexa a donné un nom à son bonhomme en tissu et qu’elle l’a glissé dans la poche de San Pantzar qui brule là au milieu de la place.

Plus tard, sous la couette.
« J’ai un souvenir qui m’est remonté de nulle part avec une telle violence que j’aurais pu le croire tout frais. Mais il était tout vieux, une vieille histoire que j’aurais voulue d’amour. Et vu comme cela m’a fait mal si longtemps après, c’en était une finalement. Mais pour moi seule. J’aurais du me l’avouer à l’époque et être triste. Il faut pleurer les amours inabouties. C’est un peu plus facile quand tu me tiens la main. Et que San Pantzar se charge de tout ».

San Pantzar
En février, cette créature grotesque est jugée sur la place publique, accusée de tous les malheurs, problèmes rencontrés par le village durant l'année. A la fin du procès, il est brûlé sous les acclamations, danses.

Valentin Shakespeare



« Tiens » propose Ageio en tendant un petit paquet « pour la St Valentin. »
« Ah » s’étonne Pakita « c’est gentil mais on ne le fête jamais. »
« Et bien, cette année, ce jour, j’ai envie. »
Pakita ouvre délicatement le papier « Shakespeare ? … Mais on l’a déjà Roméo et Juliette ! »
« Bai, c’est même notre exemplaire, celui de notre bibliothèque. »
« … ? »
« Et bien, nous sommes sortis au théâtre cette semaine. »
« Bai, Pippo Delbono, ce n’était pas vraiment du Shakespeare » tempère Pakita.
« Ez, contemporain, dérangeant. Et quand nous sommes rentrés, je suis allé devant notre bibliothèque avec le besoin de relire Roméo et Juliette. »
« Cet exemplaire là ? »
« Bai. Je venais d’éprouver de la nouveauté et pourtant j’avais besoin de Shakespeare, comme un sentiment théâtral indépassable. »
« Et la St Valentin dans tout cela ? »
« Et bien, c’est pareil avec toi maita, tu m’es indépassable ».

Petit Valentin,
Fourre son nez et glisse ses mains.
Rosée à minuit.

Petite Valentine,
Du doux des lèvres rend plus beau.
Crème sur le gâteau.

La Rhune a mis sa culotte

Pour une fois, il ne s'agit pas d'une histoire mais d'une conversation culottée avec Coumarine.
- Tiens la Rhune a mis sa culotte !
- Qu’est ce que tu racontes ? Elle est toute blanche de neige.
- Bai, comme une culotte
- Ce n’est pas toujours blanc une culotte.
- Ah c’est blanc sinon il n’y a pas de désir.
- … ?
- La peau nue, qu’elle soit claire, dorée ou laiteuse, peu importe ; les seins, les hanches, c’est secondaire en fait ; ce qui capture le regard en premier, c’est le drapeau noir de la toison, ce buisson sombre qui fait semblant de masquer pour mieux appeler. Le désir est donc sombre, définitivement, comme une frise de ronces douces. Le ton sur ton de la petite culotte noire va trop vite en besogne. La petite culotte blanche, c’est vraiment l’écrin qui fait ressortir le sombre et le désirable.
- D’accord, pour la frise de ronces douces qui ressort sur le blanc. Mais si je suis épilée, on ne le voit plus ce noir.
- Ah, je t’arrête, les femmes ont un blason, ce sont les petites filles qui n’ont pas de poil. Et désir et petite fille, ça ne va pas ensemble.
- Désir sombre, culotte blanche. Tu n’es pas en train de réinventer le yin et le yang ?
*
D'ailleurs la voici Coumarine
*
Oui, dans mon tiroir de lingerie, j'ai des petites culottes, des noires et des blanches...
Les blanches je ne les aime pas vraiment: les lessives les ont malmenées, leur donnant une teinte plus grise que blanche, et une forme qui pour certaines, laissent à désirer (oui!oui Monsieur, à désirer!)

Une culotte blanche, ça fait culotte blanche, il faut en convenir (oups! con-venir!)
Une culotte noire ça fait davantage joli petit maillot, ou vêtement de plage
N'est-il pas? dit-elle avec un sourire innocent et des yeux qui semblaient l'être tout autant...

807 bis

Frank Garot avait lancé les 807.
Quand on tarde, on arrive après
le 807 final.
Là, c'est reparti pour les
807bis, sous forme de triptyques.
Et cruditéetfleurbleue ne laisse pas son tour.


Comment avouer à cette charmante agrégée de lettres modernes rencontrée dans un café littéraire que je me satisfais pleinement d’un livre de chevet n’ayant que 2 pages ?

Ce 807ème tour de langue était vraiment ma limite maximale : son plaisir résidait bien au-delà de la luxation de ma mâchoire.

La satisfaction du dimanche matin lorsque l’acquisition d’une baguette toute chaude se double du plaisir de m’être débarrassé de toutes les piécettes dont la boulangère leste consciencieusement mon porte monnaie au cours de la semaine.

Pluie en retour

Reposter une histoire d'il y a deux hivers, ce n'est pas vraiment de la triche : c'est la même pluie qu'il y a deux hivers.

La mythologie basque date d'avant l'Histoire mais cela n'interdit pas d'en raconter.

La pluie incessante qui baigne les montagnes et les vallées d’ipparalde en hiver enchante Lamina. Elle passe des heures, nue sous la pluie, à coiffer avec son peigne en or ses longs cheveux noirs en écoutant les sources déborder. Et lorsque la puissance de l’eau se conjugue à la montée de la lune vers son plein, Lamina est envahie d’un besoin irrépressible de conjonction. Mais la pluie éloigne des sources préférées de Lamina bergers, chasseurs et autres pêcheurs. Aussi remonte-t-elle inlassablement les cours d’eau à la grande vitesse de ses pieds palmés. Elle finit par rencontrer un vieux charbonnier ramassant du bois mort malgré les trombes d’eau. Il est tout entier dans sa tâche et peu ému par la nudité de Lamina.
Elle s’en offusque : « Et bien euskaldun ! Tu n’as pas la politesse de te tendre pour moi ? »
« J’ai deux bonnes raisons, Lamina, deux bonnes, vraiment »
« Nomme la première raison euskaldun ! »
« Le bois ! Sans lui, sous cette pluie, j’ai froid et je meurs »
Lamina claque des doigts et tout ce que la forêt compte de bois mort se retrouve empilé à l’arrière de la cabane du vieux charbonnier en un tas énorme.
« Allons chez toi et tu me nommeras la deuxième raison euskaldun ».
Le vieux charbonnier entre dans sa cabane, suivi de Lamina. Il jette de grandes brassées de bois dans l’âtre, place ses vêtements dégoulinants devant les flammes. Il reste un long moment devant le feu avant de retourner son corps sec vers Lamina en déclarant : « La seconde raison, Lamina, est que je ne me tends plus, ni pour toi, ni pour personne ».
Lamina retire le peigne en or de ses cheveux, s’approche du charbonnier et commence à peigner le taillis blanc entre les jambes de ce dernier, lentement, patiemment. Le buisson quitte le blanc, se grisaille, puis s’assombrit franchement, s’assouplit et laisse se dresser en son milieu un baliveau bien proportionné que Lamina se plait à utiliser à sa guise.


Au matin, le vieux charbonnier se réveille près de son feu bien entretenu, un peu rompu et un peu déçu de constater que son buisson a retrouvé la couleur neige de ses cheveux.

La fièvre du voyage

Ce matin quand je suis partie, le petit aitatxi de l’autre coté de la route faisait bruler des feuilles mortes. Elles n’avaient aucun plaisir à bruler et fumaient en attendant la pluie. Le petit aitatxi n’était pas plus pressé que d’habitude et, la cigarette aux lèvres, il m’a saluée lorsque je suis sortie avec mon sac vers la gare.

C’est pour toi, Damattit, que j’ai chargé mon sac des petites choses de chez nous et que je me suis ennuyée durant 5 heures dans ce train. Ton hôtel près du Luxembourg est très classe, ta boite ne se moque pas de toi pour ce déplacement longue durée. J’aurais préféré qu’elle soit garnie la chambre, garnie de toi et qu’on évacue tout de suite ce désir bloqué depuis une semaine. Mais, travail, travail, travail, les galipettes, c’est en soirée. « Profite des derniers jours des soldes, Otxenda ». Bai. La fin des soldes à Paris c’est aussi triste que les ventas au col d’Ibardin après le 31 août. J’ai quand même trouvé un petit truc plein de dentelles, terriblement cher et pas du tout soldé. J’ai fait un tour au Luxembourg aussi. C’est joli. Très civilisé mais joli. Beaucoup plus petit que la forêt d’Iraty cependant.

Il est tard. Et te voilà. Enfin, il semble qu’une partie de toi vient de rentrer. La fièvre qui te dévore n’est pas de la même nature que la mienne et dans tes yeux la flamme est pour le moins vacillante. Ne me dis pas que tu es … malade ! Ne me dis pas, Damattit, que tu m’as susurré des coquineries au téléphone durant toute la semaine pour ce soir être … malade ! Ne me dis pas que ce que ma main va cueillir au bas de ton ventre, c’est tout ce que tu es en mesure d’offrir à une basquaise en pleine santé !

Tu es sous les couvertures dans les bras accueillants de ta fièvre. Tu penses que je vais te veiller comme une bonne amatxi. Erreur ! Le feu, ça se soigne par la glace. Sens ! Je viens de me passer sous l’eau glacée, je suis un bloc de froid, mes tétons pointent comme des clous de givre et je te crucifie. Tiens ? ma cuisse toute entière sur ton entrejambe te fait frémir ? Bien. Je retourne sous la douche, je me glace, je reviens, je me colle. Tiens ? tu changes de registre de fièvre ? Egun on Damattit.

Je ne regarde pas l’heure. Il est un peu plus tard. Je t’entends juste fouiller dans le mini bar de la chambre à la recherche de la chiffonnade de jambon et de l’ardi gasna que je t’ai montés. Je me dis que tout va bien.

Rebond sportif

Vaincre son vertige lors du premier saut de l’élastique de la petite culotte au bord d’un lit inconnu.

Arbre froid

La Nive est boueuse. L’arbre arraché plus haut dans la montagne est charrié perpendiculairement au courant. Accoudés à la rambarde, Naroa et Haitz le regardent s’approcher de la pile centrale du pont Pannecau.
« Il va passer à droite ou à gauche ? » questionne Haitz.
Le tronc ne choisit pas, il affronte la pile, se cale en son centre recevant deux poussées égales des courants jumeaux de chaque coté de la pile.
« Ce n’est pas possible qu’il reste comme ça ! Il ne peut pas être placé juste sur son centre de gravité ! » raisonne Haitz.
« Je crois qu’il veut raconter une histoire avant de disparaitre dans l’océan. Il nous a sentis. On doit juste rester là, à l’écouter » explique Naroa.
Haitz se garde bien de commenter. S’il ne voit rien, c’est qu’il ne veut pas apercevoir. S’il ne sent rien, c’est qu’il ne veut rien ressentir. Il sait juste qu’ils vont prendre froid tous les deux à regarder le tronc résister au flot qui l’emprisonne et qu’on ne discute pas avec une sorgin.

« Et bien, je n’ai rien ressenti, rien entendu » admet Naroa comme l’arbre finit par être emporté sous la voûte gauche du pont.
Haitz se garde bien de préciser que lui, il a parfaitement reçu, en connexion directe avec l’écorce, le souvenir de toutes les siestes crapuleuses qu’un pêcheur du bord de Nive a enchainé, année après année, avec une rousse pulpeuse et déchainée à l’ombre de l’arbre. Et que l’éclaboussure finale dont le tronc a gratifié leurs joues avant d’être entrainé était également un souvenir.