Corona

L’âge peut être. Ou bien elle. Quoique non, elle a été parfaite. Le mari dans l’avion du matin, les enfants à un stage de poneys, du soleil plein la chambre à coucher, tous les clichés confortables qui simplifient les histoires. Non, ce n’est pas elle. Pourtant, trois heures d’étreintes réussies et Geraxan n’a plus d’autre envie que celle de filer et de se retrouver seul sur sa terrasse. L’âge peut être. Quoique. Geraxan regarde le module entre ses doigts et sent poindre une vague culpabilité juvénile. En cherchant sa chaussure droite dans le salon, il est tombé sur l’humidificateur en acajou du mari. Un rien obséquieux. Comme le cendrier lourd à côté, Baccara sans doute et le coupe cigare ouvragé. L’excuse de la gaminerie irréfléchie aurait pu être suffisante si Geraxan avait fourré le premier cigare lui roulant sous les doigts dans sa poche. Au lieu de quoi, Geraxan a soulevé la boite du dessus, des Montecristo, déplacé la seconde, des Punch, pour finalement attraper une simple boite en carton blanc. La rondeur du corona à l’intérieur lui a plut. La souplesse du corps, l’impression d’infinie tendresse entre les doigts a achevé de le convaincre.

C’est ce même module qu’il fait rouler entre son pouce et son index, là maintenant, sur sa terrasse, avec le soleil qui frôle la balustrade. Rien, pas un défaut. Un remplissage parfait, cohérent. On peut être natif des Canaries et savoir rouler. La blondeur de la cape dit clairement qu’elle n’est pas cubaine. Geraxan connait ce cigare : cape américaine, tripe cubaine et façon canaries. Importé par un passionné lassé de vendre des paquets de dix cigarettes à des adolescentes et qui réinvestit sa marge pour convaincre ses collègues buralistes de distribuer ses produits. Geraxan connait ce cigare et cela l’ennuie un peu. Il le prépare d’un coup de dent, fait glisser la bague : il fume à nu. Il hume une dernière fois le corona avant de l’allumer. Les senteurs féminines qui restent au bout de ses doigts se mêlent à l’odeur du tabac et Geraxan sent naitre un début d’érection. Il ferme les yeux, respire et lorsque le calme est revenu, il craque l’allumette.

Le premier tiers du corona, déjà, et ses pensées commencent juste à revenir. Un bon quart d’heure de vide qui vaut bien des petits bonheurs. Le cigare est chaud, d’une combustion parfaite. L’esprit se réveille avec une acuité différente. Geraxan examine le rouleau régulier de cendres qui se forme, la texture parfaite de la cape. Un bon produit. Que le mari puisse ressentir la même satisfaction légitime trouble Geraxan. Trouver un mari sympathique ne lui est pas particulièrement plaisant. Il tire goulument sur le corona. Un goût de sous bois, plus proche des trompettes de la mort que des cèpes. Un goût net. Un goût franc. Il faut revenir à des sensations simples, à des idées claires.

Le soleil rase maintenant les arbres. Il n’y a pas un souffle de vent et les volutes se dessinent tendrement. Geraxan commence à sentir l’incandescence près de ses doigts. Il voit également poindre les contours de la question qui le trouble.

La réponse lui vient, évidente, comme le cigare finit tranquillement de s’éteindre.

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Un texte un peu ancien, pas complètement adapté à un format blog, destiné à l'origine à une revue tabagique mais probablement trop sensuel pour être retenu.