Ipomées

D’habitude Pette le surfeur lève les filles à Biarritz. Le Blue Cargo, c’est facile, c’est plein de parisiennes ; Pette a de beaux bras, ça plait. Là, samedi soir, avec le feu d’artifices monumental du 15 août sur la grande plage et la foule énorme venue noircir les rues de tout le front de mer, il faut mieux fuir et tenter le petit Bayonne. Pette et ses copains sont rentrés au Kixkil attirés par de la musique « ça change de l’électro » avant de se rendre compte que ça parle plutôt en euskara, que cela rocke franchement en euskara et qu’avec leurs sportwears Pette et ses copains font vraiment parisiens. Bonne soirée cependant, une fille au creux du lit, plutôt explosive - au Kixkil c’est différent du Blue Cargo, c’est plutôt la fille qui harponne -, une fille qui se lève tôt : - 6 heures, faut que je sois à Baigorri pour 8 heures – Et bien salut -, une fille qui revient vite – 6h12 : ma voiture ne démarre pas, ça t’ennuie de m’emmener à Baigorri, faut vraiment que j’y sois pour 8 heures - une fille qui bouleverse l’ordre établi de la grasse matinée du dimanche matin après une nuit de bringue.

La route est un peu longue, c’est même plus loin que Baigorri en remontant sur les Aldudes. Cela laisse le temps de comprendre. Amatxi qui ne veut pas aller à l’hôpital, qui veut mourir dans son lit, dans sa ferme.
« Le médecin avait dit qu’elle n’en avait que pour un mois et ça fait trois mois que la famille se relaye, ce dimanche c’est mon tour, je suis désolée de te faire faire cette route … on ne se connait pas en fait » explique Hostaika.
« Ce n’est pas si grave, je n’ai rien de spécial de prévu, juste retrouver les copains pour une session de surf vers 14 heures »
« Tes copains d’hier soir ? » interroge Hostaika en souriant « J’imagine bien le truc, le rassemblement des beaux gosses sur la grande plage devant le casino de Biarritz à comparer les mérites respectifs de vos conquêtes de la veille »
« Mais pas du tout » rougit Pette « d’abord notre spot c’est Ilbarritz »

Les chiens arrivent la queue joyeuse pour renifler la voiture quand elle se gare dans la cour.
« Tu as le temps de prendre un café ? » propose Hostaika.
« Pourquoi pas » répond Pette en caressant deux chiens en même temps « ce sont les chiens de ta grand-mère ? c’est quoi comme race ? »
« Des corniauds de chasse ; ils ne sont pas vraiment à Amatxi, ce sont les chiens de la maison, mes oncles les emmènent quand ils vont chasser ».
« Ils sentent … ils sentent le chien tes chiens ! »
Hostaika sourit. Il fait déjà chaud.

Pette entend les gouttes de pluie sur les grosses feuilles d’ipomées avant même de les sentir sur ses bras nus tandis qu’il décroche la lessive des fils. Juste à temps. Il a bien fait de proposer d’aider un peu après le café.

L’amatxi d’Hostaika n’est pas dans un bel état. « Elle ne souffre pas » assure Hostaika « enfin, je n’en sais rien » complète-t-elle en passant un gant de toilette sur le visage ridé. Le matin d’août était lourd avant la pluie, il est poisseux depuis. « Je crois qu’une douche lui ferait du bien. On la maintient propre mais ce n’est pas pareil. Tu peux m’aider à la porter ? » demande Hostaika.
Pette porte amatxi tout seul avec ses gros bras ; il y a trop de coudes dans les couloirs, trop de petites marches jusqu’à la salle de bains pour faire cela à deux. Le corps nu d’amatxi semble jaune sur l’émail blanc de la baignoire. Pette tient la tête doucement tandis que Hostaika savonne et douche. Amatxi parle. Enfin, il semble à Pette qu’elle parle. Mais il ne comprend rien. « Elle ne parle plus qu’euskara » commente Hostaika « elle demande le nom de mon fiancé ». Pette entend Hostaika prononcer son prénom.

« Je vais lui préparer à manger, tu peux rester un peu avec elle ? » demande Hostaika avant de quitter la chambre.
Lorsqu’elle revient, Hostaika trouve amatxi endormie, tenant la main de Pette.
« On va la laisser se reposer, on verra si elle mange plus tard, viens » .

Cuisine, grande table. Pette est plutôt pâle, assis sur le banc.
« Ça va ? » s’inquiète Hostaika.
« Pas trop, il vient de m’arriver un truc bizarre. J’étais dans la chambre avec ta grand-mère et je regardais par la fenêtre sans penser à rien. J’ai senti son regard. Elle avait les yeux grands ouverts. Je me suis approché, je me suis assis. Elle a tendu la main. Je lui ai donné la mienne. Puis elle a dit mon prénom. J’ai souri. Elle a dit ton prénom, elle m’a griffé au sang et elle a serré ma main très fort, sans la lâcher »
« Ce n’est pas très grave, elle n’est pas méchante, c’est juste une vieille personne. Fais voir ta main » sourit Hostaika en regardant la petite estafilade sur la tranche de la main droite de Pette.
« Non, ce n’est pas grave. Il n’y avait aucune méchanceté dans ses yeux. Je dirais qu’elle m’a griffé gentiment. Ce que je ne comprends pas, c’est que lorsqu’elle m’a griffé, j’ai eu une érection fulgurante ».
Hostaika pose un petit bisou sur la main de Pette « Elle a encore des restes la vieille sorgin » sourit-elle.
« … »
« C’est assez simple, elle a dit ton nom, elle a dit le mien, elle a versé le sang, les seules érections que tu auras désormais ne seront que pour moi ».
« Mais cela fait même pas 24 heures qu’on se connait ! »
« Tu n’es pas obligé d’y croire tu sais » sourit Hostaika.

4 commentaires:

Prax a dit…

S'aventurer à l'intérieur lorsqu'on est de la côte, c'est parfois risqué.

txita a dit…

Cette rencontre en Euskal Herria terre et mer est magnifique, on s'y croirait, y compris l'Amatxi Sorgin.

Prax a dit…

txita : venant d'une euskaldun, je rougis.

txita a dit…

Et puis cela m'a rappelé des souvenirs, j'ai toujours pensé que l'Amatxi de Bonloc était une sorgin et qu'elle avait essayé de me transmettre.